Les cantilènes Jean Moréas CANTIL., FUNERAILLES, ROSES... P99 Roses de Damas, pourpres roses, blanches roses, Où sont vos parfums, vos pétales éclatants ? Où sont vos chansons, vos ailes couleur du temps, Oiseaux miraculeux, oiseaux bleus, oiseaux roses ? Ô neiges d' antan, vos prouesses, capitans ! A jamais abolis les effets et les causes, Et pas d' aurore écrite en les métempsycoses : Baumes précieux, que tous des orviétans ! P100 Surpris les essors aux embûches malitornes. Les cerfs s' en sont allés la flèche entre les cornes, Aux durs accords des cors les cerfs s' en sont allés. Et nous sommes au bois la belle dont les sommes Pour éternellement demeureront scellés... Comme une ombre au manoir rétrospectif, nous sommes. CANTIL., FUNERAILLES, VOIX QUI P101 Voix qui revenez, bercez-nous, berceuses voix : Refrains exténués de choses en allées, Et sonnailles de mule au détour des allées, -voix qui revenez, bercez-nous, berceuses voix. Flacons, et vous, grisez-nous, flacons d' autrefois : Senteurs en des moissons de toisons recélées, Chairs d' ambre, chairs de musc, bouches de Giroflées. -flacons, ô vous, grisez-nous, flacons d' autrefois. P102 En ce matin d' hiver et d' ombre, l' alouette, En ce matin d' hiver, l' alouette est muette. -voix qui revenez, bercez-nous, berceuses voix. Les lys sont coupés dans le jardin, et les roses, Et les iris au bord des eaux, des eaux moroses. -flacons, ô vous, grisez-nous, flacons d' autrefois. CANTIL., FUNER., DS LE JARDIN P103 Dans le jardin taillé comme une belle dame, Dans ce jardin nous nous aimâmes, sur mon âme ! Ô souvenances, ô regrets de l' heure brève, Souvenances, regrets de l' heur. ô rêve en rêve Et triste chant dans la bruine et sur la grève. Chant triste et si lent et qui jamais ne s' achève, Lent et voluptueux, cerf qui de désir brame, Et tremolo banal, aussi, de mélodrame : P104 C' est la table rustique avec ses nappes blanches Et les coupes de vins de Crète, sous les branches, La table à la lueur de la lampe caduque ; Et tout à coup, l' ombre des feuilles remuées Vient estomper son front bas, son front et sa nuque Gracile. La senteur des fleurs exténuées S' évapore dans les buées Hélas ! Car c' est déjà la saison monotone, L' automne sur les fleurs et dans nos coeurs L' automne. Et ce pendant qu' elle abandonne Ses doigts aux lourds anneaux à ma lèvre, j' écoute, J' écoute les jets d' eau qui pleurent goutte à goutte. CANTIL., FUNERAILL., SES MAINS P105 Ses mains qu' elle tend comme pour des théurgies, Ses deux mains pâles, ses mains aux bagues Barbares ; Et toi son cou qui pour la fête tu te pares ! Ses lèvres rouges à la clarté des bougies ; Et ses cheveux, et ses prunelles élargies Lourdes de torpeur comme l' air autour des mares ; Parmi les bêtes fabuleuses des simarres, Vous ses maigreurs, vous mes suprêmes nostalgies ; P106 Ô mirages que ma tendresse perpétue, Échos fallacieux de l' heure qui s' est tue, Malgré votre carmin et malgré vos colliers, Et vos noeuds de brocart, et vos airs cavaliers, Pauvres ! Vous êtes morts, ô vous tous elle toute, Elle toute et mon coeur, nous sommes morts, Sans doute. CANTIL., FUNERAILLES, PLEURER... P107 Pleurer un peu, si je pouvais pleurer un peu, Pleurer comme l' orphelin, et comme la veuve, Et comme le pécheur naïf implorant Dieu. Simple qu' il soit mon coeur, simplement qu' il S' émeuve ! Sur ma guirlande fanée et ma robe neuve Tissée au ciel avec du blanc, avec du bleu, Sur ma guirlande fanée emportée au fleuve, Pleurer un peu, pouvoir pleurer serait mon voeu. P108 Mais, ce pendant que votre main cruelle et sûre, Sûre et cruelle fait vibrer dans ma blessure L' inexorable trait, ma dame, ma douleur, Il faut que je vous loue et que je vous célèbre, Et que je tresse la gemme rare et la fleur Dans vos cheveux qui sont couleur de la ténèbre. CANTIL., FUNER., EN SN ORGUEIL P109 En son orgueil opiniâtre, Que d' un sceptre d' or se parât, Que dans un habit d' apparat Il eût des poses de théâtre, Que, de sa prestance idolâtre, Mît la perle de maint carat Avec un ruban nacarat Dans sa chevelure folâtre ; P110 L' inéluctable vint à point Tirer d' une main acharnée La bride de sa destinée, Briser son sceptre dans son poing, Faire de sa pourpre une loque Que le vent mauvais effiloque. CANTIL., FUNER., O LES CAVALES P111 Ô les cavales hennissant au vent limpide, Et les los de triomphe à l' entour des pavois ! Les cavaliers mordent la cendre, et je me vois Tel un vaincu que la populace lapide. L' ombre se fait suspecte et veuve des hautbois, Et l' appareil n' est plus de la fête splendide ; Et tout à coup par un maléfice sordide Des belles dames se décharnèrent les doigts. P112 Lutter, pourquoi ? Quand l' étendard de la conquête Claque aux remparts trahis ; et faut-il qu' on S' entête Sous les lustres obscurs à danser d' un pied tors ? J' entends pleurer comme des chordes sous des Plectres ; Avec de pâles fleurs voici passer des spectres ; Et je voudrais mourir un peu, comme on s' endort. CANTIL., FUNER., DESIR DE VIVRE P113 Désir de vivre et d' être heureux, leurre et fallace, Et monstre indéfectible aux têtes renaissantes, Malgré l' automne et les couronnes marcescentes, De courir tes hasards mon âme n' est pas lasse. Car nous n' espérons point d' être jamais, hélas ! Le sage dont l' esprit sûr égorgea les sens ; Et nous avons au coeur cent taureaux mugissants, Et la morgue ridicule des guérillas. P114 Que pour un jour du moins ! Dure et lente rancune Du destin, laisse-toi fléchir par l' infortune Et que j' aie un peu de trêve et de réconfort ; Que je cueille la grappe, et la feuille de myrte Qui tombe, et que je sois à l' abri de la syrte Où j' ai fait si souvent naufrage près du port. CANTIL., FUNER., SS VOS LONG. P115 Sous vos longues chevelures, petites fées, Vous chantâtes sur mon sommeil bien doucement, Sous vos longues chevelures, petites fées, Dans la forêt du charme et de l' enchantement. Dans la forêt du charme et des merveilleux rites, Gnomes compatissants, pendant que je dormais, De votre main, honnêtes gnomes, vous m' offrîtes Un sceptre d' or, hélas ! Pendant que je dormais. P116 J' ai su depuis ce temps que c' est mirage et leurre Les sceptres d' or et les chansons dans la forêt ; Pourtant, comme un enfant crédule, je les pleure, Et je voudrais dormir encor dans la forêt. Qu' importe si je sais que c' est mirage et leurre ! CANTIL., FUNER., PAR LA DOUCE P117 Par la douce pitié qui s' attendrit au pli, Pourtant dur, de ta lèvre, inaccessible amante, Saurais-tu donc effacer la marque infamante Que la vie imprima sur mon front assoupli ! Sois, au moins, la main qui berce, et lorsque a Faibli Mon orgueil, et ce pendant que geint la tourmente, Abrite-moi comme d' une magique mante, Des ténèbres de ta chevelure d' oubli ; P118 Et que de tes yeux la translucide prunelle Me verse la fraîcheur et la paix solennelle De la mare endormie en un lit de roseaux. Mais surtout garde-toi bien close, et taciturne, Tel que sous le soleil un augural oiseau. -car mon âme frémit de regarder dans l' urne. CANTIL., FUNERAIL., ET J' IRAI P119 Et j' irai le long de la mer éternelle Qui bave et gémit en les roches concaves, En tordant sa queue en les roches concaves ; J' irai tout le long de la mer éternelle. Je viendrai déposer, ô mer maternelle, Parmi les varechs et parmi les épaves, Mes rêves et mon orgueil, mornes épaves, Pour que tu les berces, ô mer maternelle. P120 Et j' écouterai les cris des alcyons Dans les cieux plombés et noirs comme un remords, Leurs cris dans le vent aigu comme un remords. Et je pleurerai comme les alcyons, Et je cueillerai, triste jusqu' à la mort, Les lys des sables pâles comme la mort. CANTIL., INTERLUDE TTE LA BAB. P123 Toute la babiole Voilà pourtant le but inepte des choses. Les fins parfums de la jupe qui froufroute Le long du trottoir blanc comme la grand' route, Les lourds parfums de la lourde chevelure, Nattes au dos, torsades sur l' encolure. La pénitence après le péché, sans doute L' orgueil et l' avarice et l' envie, et toute La babiole ; et l' amour de la nature, Et même la lune à travers la verdure ; P124 Et même la lune et même l' espoir, cette Ô cette folie ! Et le soleil, ses hâles, Et la pluie, et la tristesse des jours pâles. Et bouquets qu' on souhaite et bouquets qu' on jette. Et la bonne tiédeur des premières bûches, Et sa gorge en les dentelles et les ruches. CANTIL., INTERLUDE, LA LUNE ... P125 La lune se leva bizarrement cornue Parmi les tulipiers au bout de l' avenue, Ce soir. ô la villa proprette et ses blancs murs, Et son balcon de bois chargé de raisins mûrs. Ô la brise d' été qu' embaumaient les ramures En fleurs, qu' embaumaient les pins et la haie aux Mûres L' air de violon qui s' est plaint soudain : connu, Air connu, très doux et comme ressouvenu. P126 Le vin que nous buvions sentait la peau de l' outre. Je vous pris les deux mains, mais vous passâtes Outre, Ce soir, sur le balcon où grimpaient des muscats. Pire que bonne vous fûtes et je fus sage. Vous aviez un bouquet de cassie au corsage, Et votre cou cerclé d' un collier de ducats. CANTILENES, INTERLUDE, GESTE P127 Alme fleur, fleur d' éden, hanebane d' enfe. Ta bouche, et tes seins lourds que d' or tissé tu Brides ! -nous allions par les bois pleins de monstres Hybrides, Toi de pourpre vêtue et moi bardé de fer. Sous mon épée-alors-plus prompte que l' éclair, Crânes fendus, les dos troués, les yeux stupides, Tombaient les nains félons et les géants cupides. Et les citoles des jongleurs sonnaient dans l' air. P128 -docile au joug, qu' il eût fallu que j' abolisse, J' ai trop longtemps humé la saveur du calice, Quand l' ennemi veillait sur les quatre chemins. Le palais fume encore et l' île est saccagée. -quel sortilège impur en guivre t' a changée, Toi qui berçais mon coeur avec tes blanches mains ? CANTIL., INTERLUDE, NEVER MORE P129 Le gaz pleure dans la brume, Le gaz pleure, tel un oeil. -ah ! Prenons, prenons le deuil De tout cela que nous eûmes. L' averse bat le bitume, Telle la lame l' écueil. -et l' on lève le cercueil De tout cela que nous fûmes. P130 Ô n' allons pas, pauvre soeur, Comme un enfant qui s' entête, Dans l' horreur de la tempête Rêver encor de douceur, De douceur et de guirlandes. -l' hiver fauche sur les landes. CANTIL., INTERLUDE LE RHIN I P131 Aux galets le flot se brise Sous la lune blanche et grise, Ô la triste cantilène Que la bise dans la plaine ! -elfes couronnés de jonc, Viendrez-vous danser en rond ? CANTIL., INTERL., LE RHIN, II P132 Hou ! Hou ! Le héron ricane Pour faire peur à la cane. Trap ! Trap ! Le sorcier galope Sur le bouc et la varlope. -elfes couronnés de jonc, Viendrez-vous danser en rond ? CANTIL., INTERL., LE RHIN, III Au caveau rongé de mousse L' empereur à barbe rousse, Le front dans les mains, sommeille. Le nain guette la corneille. -elfes couronnés de jonc, Viendrez-vous danser en rond ? CANTIL., INTERL., LE RHIN, IV P133 Mais déjà l' aurore émerge, De rose teignant la berge, Et s' envolent les chimères Comme un essaim d' éphémères. -elfes couronnés de jonc, Vous ne dansez plus en rond ! CANTILEN., INTERLUDE, FLORENCE P135 Le soleil brille et brûle Dans un ciel indigo. L' Arno coule très jaune Sous le Ponte-Vecchio. À Fiesole, aux Cascines, Viale dei colli, Les marquises exquises, Oeil noir et teint pâli, P136 Adressent des sourires Et des signes savants Du fond de leurs calèches Aux cavaliers servants. Et dans la ville-neuve Les sons des clavecins Se mêlent aux prières D' obèses capucins. CANTILEN., INTERLUDE, VIGNETTE P137 Elle mire au miroir son visage où neigea La poudre odorante et que relève une mouche. -on jurerait, vraiment, que le tuteur se mouche, À côté, d' illicite façon. Mais déjà Le cavalier de fer de l' antique horloge a Clamé le quart de cinq de sa stridente bouche. Le griffon noir, que la camériste frisa D' un art sûr, tout en taquinant une babouche, P138 Attend, sur le fauteuil ample en velours d' Utrecht. -le corsage, à ramage. A traîne et zinzoline, La jupe. Et, comme elle va sortir en berline Découverte, elle pique avec un geste sec Des asphodèles, dans sa chevelure belle, Belle et bleue et parfumée et qui se rebelle. CANTILEN., INTERLUDE, MADRIGAL P139 Incarnate et dodue et narguant les chloroses, Avec ta bouche rutilante et ton maintien Impudique, et ton front que le remords chrétien Ne saurait assombrir de hantises moroses ; Avec tes seins petits et tes hanches décloses, Et tes cheveux tordus, tu représentes bien Ce conventionnel amour, que l' art païen -mais le nôtre-para de rubans et de roses. P140 Or, je rêve d' un temple aux doriques piliers Où grimpent les volubilis parmi les mauves ; Et dans le pur acier de tes prunelles fauves Je vois des bois de myrte aux nymphes familiers, Et des ruisseaux furtifs où boivent les dorcades, Et qui coulent par mélodieuses saccades. CANTIL., INTERL., RUFFIAN, I P141 Dans le splendide écrin de sa bouche écarlate De ses trente-deux dents l' émail luisant éclate. Ses cheveux, pour lesquels une abbesse l' aima Jadis très follement, calamistrés en boucles, Tombent jusqu' à ses yeux-féeriques escarboucles- Et ses cils recourbés semblent peints de çurma. CANTIL., INTERL., RUFFIAN, II P142 Sa main de noir gantée à la hanche campée, Avec sa toque à plume, avec sa longue épée, Il passe sous les hauts balcons indolemment. Son pourpoint est de soie, et ses poignards superbes Portent sur leurs pommeaux, parmi l' argent en gerbes, La viride émeraude et le clair diamant. CANTIL., INTERL., RUFFIAN, III Dans son alcôve où l' on respire les haleines Des bouquets effeuillés, les fières châtelaines, Sous leur voile le front de volupté chargé, Entassent les joyaux, les doublons et les piastres Pour baiser ses yeux noirs vivants comme des astres Et sa lèvre pareille au bétail égorgé. CANTIL., INTERL., RUFFIAN, IV P143 Ainsi, beau comme un dieu, brave comme sa dague, Ayant en duel occis le comte de Montague, Quatre neveux du pape et vingt condottieri, Calme et la tête haute, il marche par les villes, Traînant à ses talons des amantes serviles Dont l' âme s' est blessée à son regard fleuri. CANTILEN., INTERLUDE, INTIMITE P145 Les rumeurs des hommes et des choses Comme un flot expiré se sont tues. -tes beaux desseins que tu prostitues, Ô mon coeur, compte-les, si tu l' oses. Des détritus de bouquets de roses Parfument les brises abattues. -compte tes fiertés condescendues, Et tes vains essors aux ailes closes. P146 -mais le doux ciel d' une nuit d' été Bénit le sommeil de la cité ; Au sort, va, n' en gardons pas rancune ! Puisque la vie est un sottisier, Que je fume en face de la lune Ma bonne pipe de merisier ! CANTIL., AIRS RECITS, MARYO P149 Auprès de la fenêtre, Assise à son rouet, Maryo file la laine Avec ses doigts fluets. Maryo file la laine, La soie et l' or aussi, Pour faire la ceinture Du beau klephte Ralli. P150 -" ne filez pas, la belle, La soie et l' or ainsi : Une autre l' infidèle Va prendre dans son lit. -je veux filer la laine, La soie et l' or aussi ; Qu' il prenne, l' infidèle, Une autre dans son lit ! -proche est la pentecôte, Maryo, le jour aussi Où l' infidèle une autre Va prendre dans son lit. " Sa mère, sa grand' tante, Et ses petits neveux, Et ses trente servantes Lui peignent ses cheveux. P151 Pour aller à l' église On lui met sur le sein La lune, et sur la bouche Le rose du matin. L' évêque est à l' église, Et les diacres aussi : Une autre l' infidèle Va prendre dans son lit. Maryo part à l' église, La lune sur le sein, Et sur sa bouche rose Le rose du matin. Et la voilà qu' elle entre Dans ses habits dorés : Les diacres et les chantres Ne savent plus chanter P152 -" évêque, mon évêque, Et vous diacres aussi, Voilà, voilà ma femme ! " Dit le klephte Ralli. " évêque, mon évêque, Et vous diacres aussi, Jamais une autre femme N' entrera dans mon lit ! " CANTILENES, LA MAUVAISE MERE P153 Dans son jardin d' été, Parmi les lauriers blancs, Dans son jardin d' été, Parmi les lauriers roses ; Dans son jardin d' été La belle se repose, Parmi les lauriers blancs, Parmi les lauriers roses. P154 Assis à son côté, Un étranger lui cause, Lui cause tendrement Parmi les lauriers blancs. -" mère, pourquoi causer Avec un étranger, Parmi les lauriers roses Dans le jardin d' été ! -au bord du fleuve bleu Où mouillent les frégates, Mon fils, va donc jouer Avec tes camarades. -je vais dire à mon père Que tu causais, ma mère, Avec un étranger, Dans le jardin d' été. P155 -mon fils, viens dans ma chambre Et je te donnerai Du musc et des grains d' ambre, Mon fils, viens dans ma chambre. " Elle l' égorge ainsi Qu' un agneau le boucher, Elle arrache son coeur, Le donne au cuisinier. Voilà que son mari Par la plaine revient, Il revient de la chasse Avec ses vingt-deux chiens. Il apporte des lièvres Et des chevreuils tués, Pour son fils il apporte Un cerf apprivoisé. P156 -" femme, dis à mon fils De venir me trouver, C' est pour lui que j' apporte Le cerf apprivoisé. -ton fils est à jouer Avec ses camarades ; Ton fils est à jouer, Viens boire et viens manger. " Elle lui verse à boire Dans un vase d' argent Et lui sert à manger Le coeur de son enfant. Et le coeur parle et dit : " qu' un mécréant me mange ! " Et le coeur parle et dit : " que mon père m' embrasse. " P157 Il égorge sa femme Avec ses propres mains, Il arrache son coeur Et le jette à ses chiens. CANTIL., AIRS ..., NOCTURNE, I P159 Toc, toc, toc toc, -il cloue à coups pressés ; Toc, toc, -le menuisier des trépassés. " bon menuisier, bon menuisier, Dans le sapin, dans le noyer, Taille un cercueil très grand, très lourd, Pour que j' y couche mon amour. " CANTIL., AIRS..., NOCTURNE, II P160 Toc toc, toc toc, -il cloue à coups pressés, Toc toc, -le menuisier des trépassés. " qu' il soit tendu de satin blanc Comme ses dents, comme ses dents ; Et mets aussi des rubans bleus Comme ses yeux, comme ses yeux. " CANTIL., AIRS..., NOCTUR., III Toc toc, toc toc, -il cloue à coups pressés. Toc toc, -le menuisier des trépassés. " là-bas, là-bas près du ruisseau, Sous les ormeaux, sous les ormeaux, À l' heure où chante le coucou, Un autre l' a baisée au cou. " CANTIL., AIRS..., NOCTURNE, IV P161 Toc toc, toc toc, -il cloue à coups pressés, Toc, toc, -le menuisier des trépassés. " bon menuisier, bon menuisier, Dans le sapin, dans le noyer, Taille un cercueil très grand, très lourd, Pour que j' y couche mon amour. " CANTIL., AIR DE DANSE, I P163 C' est la belle aux yeux, C' est la belle aux yeux de mûre, C' est la belle aux yeux de mûre ; La belle aux cheveux, La belle aux cheveux de mûre, Aux cheveux soyeux. CANTIL., AIR DE DANSE, II P164 Elle porte les habits, Les habits dorés du klephte, Les habits dorés du klephte ; Elle porte le fusil, Le fusil doré du klephte Et le yatagan aussi. CANTIL., AIR DE DANSE, III " pourquoi rire ainsi, Compagnon, pourquoi donc rire ? Compagnon, pourquoi donc rire ? La belle lui dit. Il ne cessa pas de rire Et lui répondit : CANTIL., AIR DE DANSE, IV P165 " je vois le soleil, Je vois le soleil qui brille, Je vois le soleil qui brille, Et ton sein vermeil, Et ton sein vermeil qui brille Comme le soleil. " CANTIL., AIR DE DANSE, V C' est la belle aux yeux, C' est la belle aux yeux de mûre, C' est la belle aux yeux de mûre ; La belle aux cheveux, La belle aux cheveux de mûre, Aux cheveux soyeux. CANTILENES, L' EPOUSE FIDELE P167 À la fraîche fontaine, Sous le grand peuplier, À la fraîche fontaine S' arrête un cavalier. Son noir cheval est blanc D' écume et de poussière, Il est blanc de la queue Jusques à la crinière. P168 À la fraîche fontaine, Sous le grand peuplier, À la fraîche fontaine S' arrête un cavalier. -" la belle qui puisez Dans le seau d' or cerclé, Versez au cavalier Et versez à la bête. " Elle verse de l' eau Sans relever la tête, Elle verse de l' eau Avec un long sanglot. " -qu' avez-vous donc, la belle, À sangloter ainsi ? Avez-vous du chagrin, Avez-vous du souci ? P169 -mon mari fait la guerre. Voilà sept ans à pâques. J' attends encore un an Et puis j' entre au couvent. -votre mari, la belle, Est mort l' hiver dernier, Et j' ai payé les chantres, Les chantres et le prêtre. -si vous avez payé Les chantres et le prêtre, Je vous rendrai l' argent, L' argent et l' intérêt. -rendez-moi donc, la belle, Rendez-moi le baiser Que j' ai mis sur ses lèvres Avant de l' enterrer ! P170 -comme des fleurs au vent Mes baisers sont allés ! Je vous rendrai l' argent, L' argent et l' intérêt. -réjouis-toi, la belle, Car je suis ton mari. J' ai dans mon escarcelle Cent bagues de rubis. -pour les doigts de ma main Vos bagues sont trop grandes ; Passez votre chemin, Seigneur, et Dieu vous garde. -dans ton jardin le myrte Fleurit même en octobre, Une lampe d' ivoire Brûle dans ton alcôve. P171 -avec notre voisine Vous avez bavardé. Des signes de mon corps Dites, et je croirai. -un joli signe blond Frise à ton cou de lait, Un autre orne ton ventre Et seul, je l' ai touché. -nourrice, ma nourrice. Va dresser notre lit, Car c' est lui mon mari, C' est lui mon bien-aimé ! " CANTILEN., LA COMTESSE ESMEREE P173 Sur un cheval tout noir à la crinière rousse, Il galope sur la mousse. En toque de velours avec des plumes blanches Il passe sous les branches. Au galop ! Au galop ! Il passe sous les branches Avec ses plumes blanches. P174 Au trot ! Au trot ! Au trot ! Et son grand lévrier Saute près de l' étrier. Il va pour épouser la fille de la reine, La reine sa marraine. Sur son cheval tout noir à la crinière rousse, Il galope sur la mousse. Assise à son balcon, sans page et sans duègne. La comtesse se peigne. Et, quand elle sourit, des lys et des jasmins Lui tombent dans les mains. P175 Avec un peigne d' or, sans page et sans duègne, La comtesse se peigne. -" beau capitaine qui passez, la mine fière, Allez-vous à la guerre ? -je vais pour épouser la fille de la reine, La reine ma marraine. -comme un diamant bleu reluit ta barbe brune, Mes cheveux sont clair de lune. -je vais pour épouser la fille de la reine, La reine ma marraine. P176 -et lorsque je souris, des lys et des jasmins Me tombent dans les mains... " La belle dans ses bras, il passe sous les branches Avec ses plumes blanches. Sur son cheval tout noir à la crinière rousse, Il galope sur la mousse. Il n' épousera pas la fille de la reine, La reine sa marraine. CANTILEN., AIRS..., AGHA VELI P177 Dans la salle de sa maison, De sa maison aux cent fenêtres, Avec ses pareils et ses maîtres Il partage la venaison : Parmi les fleurs des champs en gerbes Ce sont des sangliers entiers, Des chevreuils roux et des quartiers De cerfs aux ramures superbes. P178 Les eunuques silencieux Versent les liqueurs parfumées Dans les fines coupes gemmées Et dans les hanaps précieux ; Tandis que pour charmer la fête, Des esclaves de Bassora Dansent au son du tamboura Avec un sabre sur la tête. Un oiseau rose, oiseau joli, Oiseau qui parle, tel un homme, L' on ne sait d' où, l' on ne sait comme, Il entre et dit : " Agha Véli Ta belle aux yeux et ta blonde, Ta blonde aux baisers de carmin, On va la marier demain Au fils du roi de Trébizonde. " P179 Il va trouver ses chevaux roux, Tachetés comme une panthère, Qui du sabot bêchent la terre, La dent longue et l' oeil en courroux. -" plus vite qu' un cerf dans la plaine, Plus vite que l' aile du vent, Bien avant le soleil levant, Au bout du monde qui me mène ? " Un vieux cheval, cheval pur sang, Aux flancs meurtris de mainte entaille Dans le combat et la bataille, Hume la brise en hennissant : -" plus vite qu' un cerf dans la plaine, Plus vite que l' aile du vent, Bien avant le soleil levant, Au bout du monde je te mène. " P180 Ils laissent derrière les monts, Derrière ils laissent les montagnes : Par les forêts, par les campagnes, Ils passent comme des démons. Les houx géants mordent la selle, Et le sabot saigne au caillou, Et dans l' air glacé le hibou Les frôle, en fuyant, de son aile. Ils laissent derrière les monts, Derrière, la campagne brune ; Dans la rafale, au clair de lune, Ils passent comme des démons. Le pic où la lamie hiverne Est descendu sitôt monté, Et le dragon épouvanté Frissonne au fond de sa caverne, P181 Ils vont, pareils à des démons, Passant le gué, sautant le fleuve, Ils vont, qu' il grêle, ils vont, qu' il pleuve, Par les ravins et par les monts. Le sang zèbre sa peau de bistre, La vase lui monte aux mollets ; Voilà que le pont du palais Tremble sous leur galop sinistre. Nul chant de luth répercuté Dans la tourelle et sous les porches ; De rouges languettes de torches Oscillent dans l' obscurité. Une procession arrive Escortant un cercueil tout blanc, Et Véli demande, tremblant Comme le roseau sur la rive : P182 -" les prêtres et les fossoyeux, Dites, quelle est la jeune morte Que dans ce cercueil on emporte Couchée en ses cheveux soyeux ? -c' est la belle aux yeux bleus, la blonde, La blonde aux baisers de carmin ; Elle allait épouser demain Le fils du roi de Trébizonde. " CANTILENES, LA FEMME PERFIDE P183 L' eau du bain perle encore en ses cheveux de jais. Elle a mis pour sourcils le plumage des geais. Elle a mis dans ses yeux le jaspe et l' hyacinthe. D' argent tissé, de soie et d' or sa taille est ceinte. P184 Des roses du rosier elle a plein ses deux mains. Elle revient du bain à l' ombre des jasmins. Quatre tours de sequins ornent sa gorge altière. Elle revient du bain portée en sa litière. -" ô ma soeur, vous avez les yeux d' une houri. N' être pas votre frère, être votre mari ! -et si je suis ta soeur et femme de ton frère, Va tuer mon mari, tu pourrais bien me plaire. -comment tuer mon frère ? Il faut une raison, Il faut une raison pour cette trahison. -va le trouver et dis : " je veux que l' on partage ; Pour moi la belle part je veux de l' héritage ! " P185 Il serre son khandjar, il monte son cheval, Et hop et hop il va galopant par le val. -" Kostandi, Kostandi, je veux que l' on partage ; Pour moi la belle part je veux de l' héritage. -sois donc heureux, mon frère, et n' aie Aucun souci. Pour toi la belle part, pour toi la mienne aussi. " La bonté de son frère amollit son courage. Le front sur les genoux, il sanglote de rage. Il serre son khandjar, il monte son cheval, Et hop et hop il va galopant par le val. -" ma soeur de l' eau, de l' eau que je lave ma lame Du sang de ton mari, car il a rendu l' âme. " P186 Elle saisit un broc de vin clair, tellement Dans sa joie effrénée elle a d' empressement. Il la prend par sa longue et belle chevelure, Et lui tranche, d' un coup, la tête à l' encolure. La tête dans sa main, il monte son cheval, Et hop et hop il va galopant par le val. -" mouds-la, meunier, et fais de la farine rouge, Du fard pour la catin, et du fard pour la gouge. " CANTILENES, AIRS..., LA VEUVE P187 La jeune femme chante, au balcon assise, Et sa triste chanson pleure dans la bise. La jeune femme chante et tous les bateaux Carguent leur voilure et baissent leurs drapeaux. Un vaisseau de guerre, une grande galère, Garde ses drapeaux et sa voilure entière. " baisse, mon vaisseau, baisse ton pavillon, Car ce que je chante est bien triste chanson : P188 Il me fallait du lait de guivre, et la graisse Du grand cerf nourri par la main de l' ogresse, Pour guérir le mal de mon pauvre mari Qui se tordait au lit malade et flétri. Le temps de monter sur les rochers de neige, Le temps de préparer pour la guivre un piège, Le temps de revenir, mon pauvre mari Qui se tordait au lit, malade et flétri, La croix de la tombe a pris pour belle-mère, Et pour épouse, hélas ! Il a pris la terre. " CANTILEN., LA VIEILLE FEMME... P189 Elle entendit geindre un corbeau pelé, La vieille femme de Berkeley. Elle l' entendit geindre sur sa tête, Dans le val de Nith, pendant la tempête. Et la vieille dit : " je vais mourir, Le moine mon fils, qu' on l' aille quérir ; P190 Qu' on aille quérir ma fille la nonne. Je vais mourir, et Dieu me pardonne ! " Son fils et sa fille nuitamment Vinrent, amenant le saint sacrement. La vieille tressaillit lorsqu' ils entrèrent, Et ses yeux révulsés se dilatèrent. La vieille crispa ses doigts maigris, La vieille hurla d' effroyables cris : " ah ! Miséricorde ! éloignez vite Le saint sacrement, car je suis maudite. J' ai mangé sans dégoût et sans remords, Pendant le sabbat, de la chair de morts. P191 J' ai su le secret des philtres infâmes, Et l' herbe qui fait avorter les femmes. Pour raviver mes poumons gangrenés J' ai humé l' haleine des nouveau-nés. Bientôt de l' enfer je serai la cible, Et mon crime, hélas ! Est irrémissible ! Aspergez mon linceul d' eau sainte, et puis Placez sur mon sein des branches de buis. Que dans l' église une forte chaîne Attache au pavé mon cercueil de chêne. Que des cierges bénits en quantité Baignent mon cercueil de leur clarté. P192 Que des prêtres récitent des prières, Pendant trois jours, pendant trois nuits entières. Que les gros bourdons aux lourds battants, Que les bourdons sonnent fort et longtemps. Ma fille, mon fils, faites de la sorte, Pour préserver des démons la morte. " La vieille femme se tut soudain, Et son regard devint incertain. Le sang se figea sous sa peau glacée. La vieille femme était trépassée. On l' aspergea d' eau bénite, et puis On mit sur son sein des branches de buis. P193 Au milieu de l' église une chaîne Solide fixa son cercueil de chêne. De grands cierges blancs en quantité Lui firent un nimbe de clarté. Tout autour des prêtres récitèrent La messe, et cinquante chantres chantèrent. Et les gros bourdons aux lourds battants, Les bourdons sonnèrent fort et longtemps. La première nuit, la clarté des cierges Fut pure ainsi que des regards de vierges. Mais l' on entendit la voix des démons Pareille au vent d' ouest balayant les monts. P194 Les prêtres récitaient la messe sainte, Et leur zèle était mêlé de crainte. Et plus fort toujours les battants battaient, Et plus haut toujours les chantres chantaient. Devant le cercueil le moine marmonne Son rosaire, avec sa soeur la nonne. Et le coq chanta dans le matin clair, Et les démons s' enfuirent dans l' air. La seconde nuit, un éclat sinistre Vêtit les pécheurs d' ocre et de bistre ; Et l' on entendit l' ululement Des démons monter plus distinctement. P195 Les cloches sonnaient à toute volée, Les chantres chantaient l' âme désolée, Et les prêtres priaient tout tremblants Pâles et tremblants sous leurs surplis blancs. Et rempli d' effroi le moine marmonne Son rosaire, auprès de sa soeur la nonne. Et le coq chanta dans le matin d' or, Et les démons s' enfuirent encor. La troisième nuit vint enfin. Livide, Dans l' ombre où circule une odeur fétide, La flamme des grands cierges consumés, Oscille dans les ustres gemmés. P196 Au loin les démons dansent une ronde, Et l' on entend leur voix, leur voix qui gronde Pareille au vent d' ouest et pareille aux flots Qui battent les caps et les îlots. Et l' on entend leur bouche qui ricane Comme une gueule de barbacane. Et les prêtres restent tout tremblants Tremblants et muets sous leurs surplis blancs. Et la nonne et le moine son frère Tombent la face contre la terre. Et les cloches, hélas ! Ne tintent plus, Tant les sonneurs de terreur sont perclus. P197 Les saints claquent des dents au fond des châsses. Avec fracas s' écroulent les rosaces. Flambeaux éteints et psaumes finis, Gloire à l' enfer et péchés punis ! Alors, brisant les verrous de la porte Un démon vient pour emmener la morte. Un grand démon à l' oeil phosphorescent : L' église semble rouge de sang. À son appel, malgré cordes et chaîne, S' ouvre à l' instant le lourd cercueil de chêne " péchés punis, et gloire à l' enfer ! Reconnais-tu messire Lucifer ? " P198 La morte se leva blafarde et roide, Son linceul trempé d' une sueur froide. Sur la route un cheval les attendait Qui par les naseaux des flammes rendait. Le démon fit monter la vieille en croupe, Et partit au galop avec sa troupe. Il partit au galop par des chemins Dont le roi Christus garde les humains ! CANTIL., CHEVAUCHEE DE LA MORT P199 La mort chevauche dans la nuit, à travers la plaine. Le vent de la nuit à travers la plaine halène ; Le vent halène dans les ajoncs et sur les prêles. La mort monte un hongre pie et borgne aux jambes Grêles. Et les trépassés sont pendus par la chevelure, Sont pendus par les pieds, à la queue, à l' encolure, P200 L' encolure du hongre borgne qui caracole. La mort chevauche à travers la nuit, comme une folle. Les vieillards disent : bonne mort, cesse un Peu ta course Nous boirons, dans le creux de nos mains, à cette Source. Et nous-disent les beaux garçons et les belles Filles- Pour faire des bouquets nous cueillerons des Jonquilles. CANTIL., PUR CONCEPT, FI ! ... P203 Fi ! Du monitor attendu, Et de l' éternel leurre, trêve ! Le philtre de la coupe brève Sur la poussière est répandu ; Le philtre est bu par la poussière. P204 -dans le crible de la sorcière Qui donc regarder osera, Regarder et s' y reconnaître ! -sur ce qui fut ou qui sera, Mon âme, fermons la fenêtre. CANTIL., PUR CONCEPT, LE BURG P205 Le burg immémorial, de ses meurtrières Semble darder un oeil dur sur les temps mal-nés, Et de ses porches les silences obstinés Recèlent les serments gardés et les prières. Au jardin de la fée où les échos sont tus Du prime éveil qui se résorbe en l' immuable Baume, elle, contre la vie irrémédiable, S' ouvre la fleur dispensatrice des vertus. P206 Et c' est ici le beau palais de la huée Où dansent les coulpes en toquet de grelots. -tel le burg, gésir d' austère silence clos ; Fleurir en soi, telle la fleur insexuée. CANTIL., PUR CONCEPT, SS LA... P207 Sous la rouille des temps je suis un vieux blason. -chère galère avec ta riche cargaison, Es-tu prise à jamais dans les glaces du pôle ? -voici l' heure qui tinte et la chanson du saule. Mon regard fatigué contemple l' horizon Monotone, à travers les barreaux d' une geôle. -je suis l' herbe fauchée et l' arbre que l' on gaule. -voici l' heure, male heure, et la male saison. P208 Mais que me font ces fleurs qui meurent sur la tige, Et ces parfums remémorés, et le vertige Des royales splendeurs et des épiscopats ; Car mieux que dans la nuit close des sépultures, Daimôn auguste du concept, oh ! N' ai-je pas Trouvé l' oubli sacré, dans tes prunelles dures ! CANTIL., PUR CONCEPT, LS PALES P209 Les pâles filles de l' argile S' en vont hurlant par les chemins, Et dans un transport inutile Sur leurs seins nus crispent leurs mains. Lèvre vaine de ses carmins, Orgueil de la hanche nubile, Senteurs fugaces de jasmins. Ô cette extase puérile ! P210 Toi, dans qui j' ai constitué Pour me consoler de la terre, L' amour stérile et solitaire, Dors ton sommeil impollué Sous la pierre que ne soulève Que la force occulte du rêve. CANTIL., PUR CONCEPT, DANS LE P211 Dans le chêne rugueux sculptée, Tu gis sur les feuillets du livre Où ma patience s' enivre, Tête de la décapitée. Lorsque mon âme cahotée Réclame en vain l' oubli de vivre, Ta prunelle auguste me livre La loi par le destin dictée. P212 Et pour un instant le souci Inexpugnable, et tout ceci Qui rampe, fruste et périssable, Se dispersent comme du sable ; Et mon esprit monte et descend Dans l' air lucide et latescent. CANTIL., PUR CONC., LA DETRESSE P213 La détresse dit : ce sont des songes anciens, Des songes vains, les danses et les musiciens. La tête du roi ricane du haut d' une pique ; Les étendards fuient dans la nuit, et c' est la Panique. La décrépitude dit : êtes-vous fous, vraiment, Vraiment, êtes-vous fous d' avoir encor cette pose, D' avoir encor sur les dents ce sourire charmant, Ce sourire devant le miroir, et cette rose Dans votre perruque, ah ! Vraiment, quelle est Cette pose ! P214 Le temps dit : je suis le temps, un et si simultané, Et je stagne en ayant l' air de celui qui s' envole, Mirage fruste et kaléïdoscope frivole, Je vous leurre avec l' heure qui n' a jamais sonné. Alors Maya, Mayâ l' astucieuse et la belle, Pose ses doigts doux sur notre front, qui se rebelle Et câline susurre : espérez toujours, c' est pour Votre sacre que vont gronder les cymbales vierges, Et vous aurez l' or et la pourpre de Bedjapour, Esclaves dont le sang teint les cordes et les verges. TIDOGOLAIN P217 La dame-en robe grivelée- Par le verger s' en fut allée. Belle de corps et d' air hautain, Les yeux comme cieux du matin ; Au col un collier de cinq onces, Et dans ses cheveux de jaconces Un large cercle d' or battu, Avec des pierres de vertu. P218 Or, portant le bracet fidèle Un nain marchait à côté d' elle, Un nain ni tant fol ni vilain Qui avait nom Tidogolain : " j' ai fin samit. Au doigt j' ai rubacelle, J' ai daguette à pommeau de diamant. De doubles d' or lourde est mon escarcelle ; Sur mon chapel et plume et parement. Las ! Réjoui ne suis aucunement : Que fait-il, faste, et que fait opulence ? Amour occit mon coeur de male lance. J' ai destrier qui, sans qu' on le harcèle, Bondit crins hauts et le naseau fumant ; Le frein de gemmes et d' argent ruisselle, De pourpre est le caparaçonnement. Las ! Sans armet, ma tête dolemment Penche, et mon bras de fer est sans vaillance. Amour occit mon coeur de male lance. P219 Anne, Briande, et Doulce la pucelle Aux cheveux blonds, plus blonds que le froment, Et la dame de Roquefeuilh, et celle Pour qui mourut le roi de Dagomant, M' offrent joyeux réconfort ; mais comment Auraient-elles à mes yeux précellence ? Amour occit mon coeur de male lance. Princesse, pouvez seule à mon tourment Porter nonchaloir et allègement, Car c' est de la tour de votre inclémence Qu' amour occit mon coeur de male lance. " Ainsi chanta Tidogolain Le nain ni tant fol ni vilain. (dans l' air tiédi de la venelle Fluaient des senteurs de canelle, De spicpètre et de serpolet.) Et la dame dit : ce me plaît. MELUSINE, I P223 Raimondin chevauche et son cheval l' emporte, Les rênes au col, à travers les futaies. Le vent berce sur l' eau l' ombre des futaies ; Sur l' eau la lune est blanche comme une morte. P224 Moins blanc sur l' eau le clair de la lune flotte, Moins blanc que le visage dolent du comte. Bien dolent, bien dolent est le coeur du comte. Dans la futaie et sur l' eau le vent soufflotte : " les unes, sous les hauts hennins, L' oeil à mainte feintise idoine, Aux traînes que portent des nains Par les escaliers de sardoine ; D' autres, dont la grâce florit Comme une branche neuve, et toutes ; Et la pucelle qui sourit Au chevalier vainqueur des joutes : P225 Festins mentis aux affamés, Promise nef qui soudain cule, Leurres de fleuves tôt humés Dans la hagarde canicule... Indicible, et le front vêtu De pierres gemmes en guirlande, Par quel géant gardée es-tu Aux grottes de Nortoberlande, La prime et l' ultime, et pennon Où l' aure des promesses joue, Et molette de bon renom Brochant le désir qui s' ébroue ! " Le vent berce sur l' eau l' ombre du bouleau, Le vent berce la blanche lune sur l' eau. P226 De la futaie une gente dame sort, Très doucement elle chante un très doux chant ; Le comte a le coeur abusé du doux chant, Le comte ne sait pas s' il veille ou s' il dort : " les papemors dans l' air violet Vont, et blonds et blancs comme du lait. Blonde suis, blanche comme du lait, En gone de velours violet. Les diaspes et les caldonies Dardent sur mes tresses infinies. Mes pers yeux, mirances infinies, Fanent diaspes et caldonies. P227 Feuilles et pétales parfumés, Montent, montent les rosiers ramés. Ainsi que fleurs aux rosiers ramés, A mon buste mes seins parfumés. Des citoles avec des saltères Frémissent aux soirs des périptères. Ma parole aux soirs des périptères Fait taire citoles et saltères : Targe sur les dangers ennemis Et bel-accueil ceux-là sont promis, Sire comte, à votre voeu promis Plus haut que les pensers ennemis. " MELUSINE, II P228 Le vent souffle, souffle à travers la boulaie, Le cheval porte Raimondin, à sa guise. Sans qu' il lui tire la bride ou le conduise, Le cheval galope à travers la boulaie. P229 Le comte est pâle comme un mort sous le heaume, Sous le haubert dur son coeur garde une plaie. Le vent souffle, souffle à travers la boulaie. Elle frissonne au vent, l' aigrette du heaume : " sur le haut lit par l' évêque bénit, et fleuri D' écarlates tentures de Constantinople, -le si doux chant chantait juste, -la dame a guéri Mon coeur, de sa main, ambre de Constantinople, De ses clairs yeux, écus d' or et de sinople. Sur l' oreiller par l' évêque bénit, tout brodé D' oisillons volants, sous les lambrequins en dôme, -le si doux chant chantait juste, -mon rêve a Goûté Parmi la pompe de sa chevelure en dôme, Le sûr fruit de son corps, magistère et baume. P230 Las ! Las ! Trop tard, trop tôt la male-bouche Parla ; Le mal-souci parla de forfait et de rite. Mon dieu, se pourrait-il, oh ! Se pourrait-il Cela, Hideux simulacre et démoniaque rite, Sur la couette par l' évêque bénite ! " Le vent berce sur l' eau l' ombre du bouleau. De la futaie un triste, triste chant monte. Le vent berce la blanche lune sur l' eau. Il ne sait pas s' il veille ou s' il dort, le comte. " spectre clément à la vie, et comme De se voir réel il avait peur ; Ah ! Grand' peur il avait du labeur Opiniâtre et failli de l' homme. P231 L' anacampsérote au suc vermeil Est éclose : au coeur las panacée ; Au flux de son aile cadencée L' Iynge berce l' amer sommeil. Mais le jaloux, dont la voix incite, S' essore des marges du missel Et dit : qu' il nous faut rompre le scel De l' incantation illicite. Alors c' est la chute et le confin Du fier palais qu' abritait la nue ; Et voici qu' Entélékhia nue Rampe en le jour vertical et vain. " Source: http://www.poesies.net